The art of not choosing

La Liberté, by Thierry Raboud
31 December 2016

The art of not choosing

The tenor Christos Kechris gave certainly a highly sensitive performance.

Thierry Raboud, La Liberté

Opéra de Fribourg, ou l’art de ne pas choisir

En somme, personne n’a voulu choisir. Dans Orlando Paladino, Joseph Haydn semble se hasarder entre le buffa et le seria. Et dans l’interprétation audacieuse qu’en a proposée l’Opéra de Fribourg jeudi soir sur la scène d’Equilibre, la même hésitation était patente, presque déconcertante, entre la gaudriole et l’épanchement sentimental, entre la profondeur psychologique et la désinvolture divertissante.

On commence tout d’abord par en rire, alors que plusieurs personnages font de comiques entrées en scène. Le Licone ingénu du baryton-basse fribourgeois René Perler dialogue avec la soprano lausannoise Marie Lys, magnifique de précision mutine en Eurilla. Sur un improbable destrier débarque ensuite le fort bien nommé Rodomonte, empêtré dans les ferrailleries impossibles de son costume grandiloquent. Enfin, voilà ce couple qui s’aime à s’en époumoner, et cette fée qui multipliera les apparitions en Deus ex machina pour les sauver de tout péril. Comique de situation, fières bravades et retours de flamme – on s’amuse un peu, en attendant que l’Orchestre de chambre fribourgeois dirigé par Laurent Gendre parvienne à une véritable fusion dans ses cordes, trouve son rythme pour accompagner cette distribution inégale, dont les chanteurs s’avèrent parfois plus pressés que la musique.

Un héros magnétique

© Alain Wicht

Puis Orlando est arrivé. Hâve, puissant, magnétique. Intense rayonnement de ce regard cerné de folie. Timbre de métal froid, le ténor argentin Carlos Natale confère au personnage éponyme une stupeur rageuse d’une force telle qu’on en vient à oublier ses quelques fragilités dans l’aigu. Excellent acteur, il investit l’espace, et l’on comprend que le rire n’est pas tout, que Haydn n’a pas fait de son opéra un dramma eroicomico pour rien.

Se met alors en place une alternance efficace de parenthèses bouffonnes et d’airs de caractère destinés à faire progresser l’action. Mais comme celle-ci est basée sur un livret aussi abscons qu’invraisemblable, on en vient rapidement à se désintéresser des motivations des personnages pour se raccrocher à l’amour du couple formé par Angelica et Medoro. Le ténor Christos Kechris met certes beaucoup de sensibilité pour répondre au vibrato un peu flottant de la soprano Rosaria Angotti.

Malheureusement, difficile de croire à cette passion quand elle se partage entre un enturbanné loufoque accoutré d’un pyjama bleu layette et une mijaurée caricaturée en froufrous roses. On sourit plutôt, tout comme on s’émerveille des pantalonnades de l’écuyer replet campé par le ténor portugais Alberto Sousa, réjouissante préfiguration du Leporello de Don Giovanni.

Mise en espace inventive

La mise en scène de Cédric Dorier porte la trace de cette ambiguïté, faite de blocs de bois clair aux contours vaguement médiévaux qui évoluent, selon les tableaux, entre sobriété assumée et kitscherie dégoulinante. On peut regretter cette tendance à toujours forcer le trait où le tragicomique se vautre dans le vaudeville, le féerique devient burlesque tandis que le burlesque tourne au grotesque.

Reste que cette mise en espace originale et inventive rend honneur à cette musique traversée, elle aussi, de puissants contrastes. Ainsi, au dernier acte, tout s’ouvre enfin: le paladin Orlando chante, absent à lui-même, prostré sur les rivages de la folie tandis que la fête collective se superpose à son hébétude silencieuse. Comme une ultime manière de ne pas choisir entre le rire et les larmes.

Thierry Raboud

Source: www.laliberte.ch

31/12/2016